« Perdre du temps c’est périr, chaque degré compte », ce sont les termes utilisés par Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, pour commenter en vidéo le dernier rapport du GIEC. Les dégâts de la guerre en Ukraine ont fait passer au second plan médiatique sa parution, et pourtant…
Le rapport du groupe I, publié en août 2021, traitait uniquement de la compréhension physique du système climatique et des changements climatiques. Ce rapport du groupe II, publié le 28 février, traite des impacts, de la vulnérabilité des sociétés humaines et des écosystèmes à ce changement climatique. Forcément, cela pique un peu plus les yeux. Il faudra attendre encore quelques mois pour disposer du rapport du groupe III sur les solutions envisageables.
La gouvernance du GIEC est basée sur des consensus, chaque membre ayant droit à une voix et toutes les décisions devant être prises à l’unanimité. Heureusement, le GIEC ne finance pas ses propres travaux de recherches, ce qui déclencherait certainement de rudes batailles d’arbitrage budgétaire. Mais il s’efforce de faire une synthèse de tous les travaux publiés par les laboratoires des différents pays. Je découvre en préparant ce billet qu’en France, le point contact du GIEC est l’ONERC. Pas très connu du grand public, il propose pourtant des infographies concrètes sur les risques en France.
Les principales difficultés tournent toujours autour du financement des actions de prévention ou des dédommagements. Les Etats Unis ont tenté en coulisse de faire supprimer les références aux « pertes et dommages » du rapport. Mais le texte final évoque bien des « impacts négatifs généralisés et des pertes et dommages connexes sur la nature et les personnes ». Si les USA, et peut être d’autres grands pays de l’Europe de l’Ouest, ont tenté de freiner les références à ces dommages c’est parce qu’ils se doutent qu’ils risquent d’être sollicités pour les compenser en y consacrant une partie de leur budget.
Ceux qui me connaissent bien savent à quel point je m’élève contre cette solution consistant à mettre un coût sur ces actions de prévention ou de dédommagement après sinistre. Il y a deux raisons pour lesquelles je pense que le fait de parler d’argent sur ces sujets ne va pas faciliter la prise de décision.
1. La déraison des sommes en jeux.
Le GIEC cite le chiffre de 10.000 milliards de dollars de dégâts sur les infrastructures dans des zones sujettes à des inondations exceptionnelles (même dans un scénario modéré d’émission…). Nous sommes loin, très loin, des techniques de « nudge » qui permettent de faire changer le comportement humain en plaçant un tout petit signal au bon endroit. Un tel chiffre ne veut plus rien dire pour le commun des mortels. Ce n’est plus un chiffre à taille humaine. Elon Musk est peut être capable de l’appréhender, et encore…. Comme nous sommes environ 10 milliards sur terre, parler de 1.000 dollars par habitants devient tout d’un coup plus compréhensible, non ?
2. Les différents continents et PIBs.
Pour qu’une négociation puisse avoir lieu, encore faut-il que tous les protagonistes partagent une vision claire de la situation. Or, ces chiffres ont des poids très différents d’un continent ou d’un pays à l’autre. Si l’on part du principe que le salaire moyen est de l’ordre de 1.150 euros à Pékin, 2.430 euros en France et plus de 5.000 euros au USA, le coût des dégâts sur les infrastructures cité plus haut n’est pas vu de la même façon par les différents habitants. 1.000 dollars par habitant ne représente pas partout le même effort. Pour les chinois il faudrait donner plus d’un mois de salaire pour couvrir les frais. Les français n’ont plus besoin que d’une quinzaine de jours et les américains à peine une semaine ! Comment voulez vous que les différents négociateurs s’entendent avec des perceptions aussi différentes?! Comme le dérèglement climatique est en grande partie induit par une volonté de gagner du temps (les voyages en avion, les calculs informatiques de plus en plus rapides…) ne serait ce pas logique de chiffrer ces dédommagements en valeur temps et non plus dollars ou euros ? De toute façon, ces sommes, même colossales, ne sont jamais destinées qu’à acheter du temps de travailleurs. On ne paye pas la terre pour le pétrole ou les minerais qu’elles nous offre et que l’on va avoir de plus en plus de mal à extraire, mais bien les mineurs et les sociétés qui ont conçu les machines qu’ils utilisent. Pour son blé et ses fruits ce sont encore le temps des travailleurs des champs que l’on paye, et toujours pas notre planète. Il serait tellement plus logique de donner plus d’importance au temps, ce truc qui file entre les doigts et que personne ne peut acheter !