La conférence de Cali sur la biodiversité vient de se terminer dans la nuit du 1er au 2 novembre, en Colombie. Il s’agissait de la 16ième Conférence des Parties (COP16) organisée par les Nations Unies sur le sujet biodiversité. Elle ne doit pas être confondue avec les autres COP abordant le changement climatique dans sa globalité. D’ailleurs la COP29, sur ce sujet du changement climatique, vient aussi de se terminer à Bakou ce 24 novembre. Ce système de numérotation de différentes COPs ne facilite sans doute par leur compréhension par le grand public. Les travaux de la COP16 biodiversité ont été peu visibles dans les médias, derrière les bruits médiatiques des guerres, des inondations en Espagne et de l’élection américaine.
Puisque nous évoquons les Etats Unis, signalons que parmi les 196 parties concernées, ce grand pays est le seul à ne pas avoir ratifié la Convention sur la diversité biologique. Il semble hélas peu probable que la biodiversité fasse partie des priorités du nouveau président qui prendra ses fonctions début 2025.
En 2022, à Montréal, la COP biodiversité précédente avait fixé des objectifs ambitieux pour 2030 :
- Protéger aux moins 30% des terres et des mers,
- Restaurer 30% des écosystèmes dégradés
Les pays s’étaient aussi engagés à réduire de moitié les risques associés aux pesticides, développer l’agroécologie, pousser les entreprises à rendre publiques leurs actions sur la biodiversité et limiter les subventions néfastes à l’environnement.
Deux plus tard à Cali, il s’agissait d’examiner les engagements des différents pays, de préciser les financements ainsi que les mécanismes de partage des avantages issus de la biodiversité.
De l’argent, en masse…
Comme dans toutes les COPs il a été question d’argent. De beaucoup d’argent d’ailleurs. A tel point que les sommes en jeux ne veulent plus dire grand-chose pour le citoyen lambda. Ainsi, l’objectif de la COP16 était d’atteindre 200 milliards de dollars par an d’ici 2030.
Ces sommes peuvent paraître énormes mais je prends souvent le temps de faire une règle de trois pour le ramener à une taille humaine. Pour un calcul rapide, basons-nous sur les environ 10 milliards d’habitants qui vivent sur notre planète. Le chiffre devient alors plus facile à appréhender lorsque l’on parle de 20 dollars par habitant. Mais le poids de cette somme dépend fortement du pays de l’habitant. En France, l’équivalent d’un repas dans un restaurant bon marché ne va pas faire tousser grand monde. Mais dans d’autres pays avec un PIB par habitant beaucoup plus faible, ces 20 dollars peuvent représenter un budget équivalent à plusieurs semaines de vie.
C’est à mon avis les deux raisons principales qui expliquent les difficultés des négociations financières lors de ces COPs :
– les chiffres colossaux ne veulent plus rien dire pour les êtres humains en train de les négocier,
– ramenés à une échelle individuelle, ces chiffres deviennent accessibles. Mais ils gardent des significations très différentes en fonction du pays d’origine du négociateur.
Hélas pour la COP16, les négociations sur ces montants se sont avérées tellement ardues qu’un accord n’a pas pu être trouvé sur ce financement. La suspension de la séance plénière finale, samedi 2 novembre 2024, a interrompu les débats.
De l’argent ou du temps ?
Souligner les difficultés de négociation sur des chiffres aussi énormes est un fait. Mais comment procéder autrement ? Partons du principe que l’on n’achète pas la biodiversité. En effet, on ne peut pas payer un papillon ou un oiseau pour l’aider à se reproduire. Ces sommes sont donc destinées non pas à payer directement la nature mais à payer des êtres humains qui vont travailler à sa protection.
C’est donc du temps de travail qu’il faudrait réserver pour protéger la biodiversité et non pas uniquement des dollars ou des euros.
Le temps pourrait être un facteur de négociation plus stable et plus universel. D’ailleurs, si certains oiseaux sont en voie de disparition c’est bien, entre autres, parce que d’autres oiseaux de métal sont conçus pour déplacer plus vite des êtres humains à l’autre bout de la planète, leur faire gagner du temps.
En esquissant cette hypothèse de négociation autour des milliards d’heures et plus de dollars, on peut à nouveau expliquer les difficultés de négociation. En effet, même sur les chiffres à taille humaine. 20 dollars représentent une heure de travail dans certains pays mais plusieurs semaines dans d’autres ! Cela serait donc plus équitable de compter en temps, qui s’écoule de la même façon dans tous les pays …
Le rôle des peuples autochtones
Si la COP 16 a été un échec sur l’aspect financier, elle a par contre permis d’avancer sur la reconnaissance des peuples autochtones comme gardiens de la nature. Ils auront dorénavant un statut renforcé dans les prochaines négociations au sein des Nations Unies pour nous aider à « faire la paix avec la nature ».
Le vote de cet accord a déclenché des acclamations et des chants de joie des représentants des peuples autochtones et des communautés locales. Expressions contrastant avec les souvent trop sages applaudissements saluant plus classiquement la signature d’accords. La signature reconnait l’importance des connaissances et pratiques traditionnelles de ces peuples. Et la COP 16 nous a montré que la diversité pouvait se trouver aussi dans l’expression de la satisfaction éprouvée !
Le fonds Cali
Participer à une COP demande aussi une certaine résistance physique. Car c’est vers 5 heures du matin, après des heures de négociations sur des points annexes, qu’un accord sur le partage « équitable et juste » des bénéfices tirés de l’utilisation des informations de séquençage numérique (ISN ou DSI en anglais) a enfin pu être validé.
Les industries pharmaceutiques, agricoles, cosmétiques et biotechnologiques qui utilisent les ressources génétiques provenant bien souvent de pays en développement devront verser 0,1 % de leur revenu ou 1 % de leurs bénéfices dérivés des données génétiques de la nature au nouveau « Fonds Cali », sur la base de contributions volontaires. Le texte précise que seules les grandes entreprises seront concernées (au moins 50 millions de dollars de ventes et/ou 5 millions de dollars par an et/ou plus de 20 millions de dollars d’actifs par an). Mais il s’agit clairement d’un succès pour les pays du Sud, même si ceux-ci demandaient au départ 1% du chiffre d’affaires et non du bénéfice.
La moitié des sommes récoltées par ce fond Cali seront directement fléchées vers les peuples autochtones dont la COP 16 a aussi reconnu l’importance (voir ci-dessus). De beaux débats en perspective sur les règles de répartition entre ces peuples, mais aussi sur l’utilisation de la seconde partie du fond !