Ce 18 Décembre, Arthur Keller était l’invité du C3D au Collège des Bernardins dans le cadre du cycle de conférences « Le sens et l’action ». Il annonce qu’il parle vite, et effectivement, il tient promesse. Cela lui permet de citer énormément de chiffres pendant ces 2 heures de stand up ! Son objectif est de « catalyser un sursaut, fournir les clés décisives d’analyse et d’action face aux crises systémiques à venir ».

Evidemment la plupart des chiffres présentés sont inquiétants, surtout réunis dans un ensemble cohérent. Vous en connaissez sans doute une grande partie mais il m’a semblé intéressant de revenir sur certains d’entre eux ainsi que sur les critiques émises et les pistes de solutions proposées.

Sortir des silos

Pour Arthur Keller il nous faut changer nos objectifs. Il n’est plus possible d’atteindre ceux que nous nous étions fixés par exemple lors de l’accord de Paris.  Nous devons donc nous préparer à gérer le moindre mal. Il faut se radicaliser au sens propre du mot : revenir à la racine des problèmes.

Il nous appelle à « décomprendre », arrêter de croire que l’on a compris. Car nous avons de bons scientifiques mais ce ne sont pas les bons messages qui sont passés. Chaque expert propose une solution centrée sur le problème sur lequel il dispose d’une expertise. Alors qu’il faudrait arrêter de raisonner ainsi par silos et développer une véritable vision systémique.

anecdote des aveugles et de l'éléphant

Pour illustrer cette idée il reprend l’anecdote des aveugles et de l’éléphant. En fonction de la partie que chaque aveugle touche celui-ci va percevoir un mur, un tronc d’arbre ou encore un serpent. Il regrette ainsi que chaque scientifique spécialisé ne se concentre que sur une partie du problème nous empêchant d’appréhender l’ensemble du défi qui nous attend !

6 dimensions du système terre

Une façon d’avoir une vision d’ensemble est de passer en revue les 6 dimensions du système terre :
Lithosphère
Hydrosphère
Cryosphère
Atmosphère
Biosphère
Pédosphère

Lithosphère

C’est dans cette première dimension que l’on retrouve les défis relatifs au pétrole et aux minerais.

Notre économie est basée sur du pétole abondant et bon marché. Nous gérons les flux de pétrole plutôt que les stocks. Pour Arthur Keller il va nous falloir changer d’ère. Comment passer du notre modèle « toujours plus » à « produire et consommer moins ». Il rappelle que le shiftproject prévoit pour l’Union Européenne des difficultés d’approvisionnement en pétrole dès 2030 (voir le rapport shiftproject de 2020, rédigé avant le choc énergétique induit par le début de la guerre en Ukraine).

Il passe en revue les 3 piliers de la transition énergétique : énergies renouvelables, efficacité énergétique et sobriété énergétique.

les 3 piliers de la transition écologique

Les énergies renouvelables vont être confrontées à des difficultés d’approvisionnement, y compris pour le cuivre qui ne fait pourtant pas partie des terres rares. Les plus grandes réserves de cuivre se situent au Chili. Or, la capitale du Chili, Santiago, met déjà en place des mesures de rationnement de l’eau potable. Cela va donc être très difficile de trouver les énormes quantités d’eau nécessaire au fonctionnement des mines de cuivre. Il regrette que nos dirigeants aient choisi de coupler compétition économique et transition énergétique.

Concernant l’efficacité énergétique il ne croit pas à la stratégie de Net Zéro Emission. Pour la lui la notion de NZE devrait constituer le plancher de nos stratégies énergétiques alors qu’elle en est plutôt actuellement le plafond (voir lien Nations Unies).

Sur la sobriété énergétique, comme beaucoup d’experts, il ne pense pas que la réduction des superflus et gaspillages soit suffisante. D’où son appel à changer d’ère et accepter de produire et consommer moins !

Hydrosphère

Concernant l’eau, l’orateur n’a guère de mal à dresser un tableau négatif. Les océans se réchauffent, s’acidifient et sont pollués par le plastique. Les nappes phréatiques contiennent de plus en plus de PFAS et se salinisent dans de nombreux pays.

Cryosphère

Les glaciers fondent dans les pays tempérés mais l’Artique se réchauffe aussi très vite. Les scientifiques cherchent encore à comprendre le phénomène d’Amplification Artique (AA) qui amène cette partie du globe à se réchauffer 2 à 3 fois plus vite que le reste de la planète.

la fonte des glaciers

Atmosphere

Sans surprise Arthur Keller est très négatif sur les résultats de la COP 30 à Belem (voir aussi le billet diag26000). Les négociations ont souvent été bloquées par des revendications nationales. Ce n’est pas la déclaration pour « l’industrialisation verte » qui va permettre d’améliorer notre atmosphère.

évolution duC02

Il reprend ce graphique bien connu qui prouve que ce sont bien les activités humaines qui sont à l’origine de l’explosion du CO2 dans l’atmosphère. L’évolution récente n’a plus rien à voir avec les cycles de glaciations que la terre a connus pendant des centaines de milliers d’années.

évolution de la température

Cet autre graphe sur les températures rappelle que tout a commencé avec l’invention de la machine à vapeur mais souligne aussi les effets des éruptions volcaniques comme celle du Tambora (voir lien). note de l’auteur : nous faut il espérer qu’un nouveau cataclysme, naturel ou déclenché lors d’un conflit humain, vienne casser cette croissance trop rapide ? cela ne serait en tout cas pas dénué d’effets secondaires douloureux…

Biosphere

Pour la biosphère il revient rapidement sur l’effondrement de la biodiversité. L’indice Planète Vivante, qui permet de suivre cette notion s’est effondré de 73% entre 1970 et 2020 (voir lien wwf)

Parmi les mammifères, la biomasse des espèces sauvages ne représente plus que 4% du total, contre 62% pour l’élevage. Les êtres humains composant les 34% restant.

Pédosphere

Il dénonce aussi l’état de dégradation des sols. Ils sont confrontés à trop d’intrants pour booster leur production. L’agriculture intensive fait partie des coupables, ainsi que la course aux protéines animales.

L’anthroposphère !

Pour Arthur Keller, il faut arrêter de dire que l’humanité est confrontée à une crise écologique.  C’est au contraire la nature qui est confrontée à une crise humaine.

Il nous invite à remettre en cause notre fonctionnement et arrêter de demander aux scientifiques de trouver des solutions pour continuer à vivre sans changer de système.

Il regrette que notre modèle économique du Développement Durable soit trop centré sur le capital. Car il ne croit pas que la technologie puisse sauver le monde.

Pour lui la guerre des imaginaires a commencé. Dans un camp se trouvent ceux qui pensent que toujours plus est possible, en s’appuyant sur les technologies et l’intelligence artificielle. Dans l’autre camp on réfléchit sur la façon de changer de modèle, construire un monde plus résilient.

Mais la résilience permettra simplement de conserver un certain niveau de fonctionnalités après perturbation, pas de revenir à l’état initial. Pour être résilient un système socio écologique doit rassembler robustesse, adaptabilité, flexibilité mais aussi transformabilité, c’est-à-dire accepter de se remettre en question.

Des solutions ?

Une des pistes principales proposées par Arthur Keller est la gestion partagée des communs. Il insiste pour ne pas la confier uniquement aux élus et compagnies privées. Une représentation des citoyens est nécessaire pour assurer une saine gestion. Et pour gérer efficacement les communs il faut commencer par se poser la question des besoins.

Il préconise de développer un potentiel d’autosuffisance au niveau de chaque territoire pour tout ce qui est vital. Cette autosuffisance doit être complétée par des relations de complémentarité et des pactes d’entre aide avec d’autres territoires.

jardin partagé

Il milite pour que l’accès à l’essentiel soit garanti pour tous. Cela passe par des notions absentes de la plupart des programmes politiques comme la dotation inconditionnelle d’autonomie ou la sécurité sociale alimentaire.

Impossible bien entendu de reprendre dans ce billet résumé les 2 heures d’exposé. Mais si ces quelques lignes vous ont donné envie d’en savoir plus, vous pouvez retrouver l’intégralité dans cette vidéo youtube préparée par les équipes du C3D.

DIAG26000
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