Ce mercredi 15 janvier 2025, nous avons pu assister à la séance plénière sur les changements climatiques et leurs impacts sur les conditions de travail, organisée par la Commission Travail et Emploi du C.E.S.E (le Conseil Economique, Social et Environnemental). Cette séance pilotée par Sophie Thiery, Présidente de la Commission Travail et Emploi, a commencé par la projection d’un film suivie de plusieurs échanges avec les experts. Ce billet vous propose un résumé des points forts de cette séance traitant d’un sujet peu visible dans les médias.
Trop chaud pour travailler : le film
Nous avons regardé un film documentaire appelé « Trop chaud pour travailler » réalisé par Mikaël Lefrançois en 2023 après deux ans d’enquête. Ce film met en lumière les conditions de travail désastreuses dans de nombreux pays dues au changement climatique et aux chaleurs extrêmes. Il aborde les difficultés rencontrées dans différents secteurs sur lesquels nous allons revenir
Le bâtiment
Différents secteurs sont touchés, notamment le secteur du bâtiment. Beaucoup de Népalais se rendent dans les pays du Golfe, comme au Qatar, où on retrouve un grand nombre d’étrangers, venus de pays pauvres, qui travaillent dans la construction de bâtiments afin de pouvoir nourrir leur famille restée au Népal. Certains de ces Népalais partent de leur pays et ne reviennent jamais vivants à cause du stress thermique. Très souvent les décès ont pour cause officielle « l’insuffisance respiratoire de cause naturelle », sans mentionner le fait que ces ouvriers travaillent sous des chaleurs extrêmes pouvant aller à plus de 40°C sans pauses, sans eau et en plein soleil. Pour réduire le nombre de décès sur les chantiers, le gouvernement Qatari a décidé d’arrêter tous les travaux durant les mois de l’été à partir de 15h30. Un système de drapeaux de couleur est mis en place afin de savoir quand il fait trop chaud et que les ouvriers doivent arrêter de travailler ou prendre plus de pauses. Il existe 4 drapeaux de couleurs sur les chantiers, le vert, la température est acceptable, le drapeau jaune, le drapeau rouge et, le drapeau noir (température extrêmes) le travail doit être arrêté immédiatement. La température est contrôlée avec l’indice WBGT (wet-bulb globe température) ou indice de température au thermomètre-globe mouillé mesuré grâce à un thermomètre spécifique indiquant la température mais aussi l’humidité dans l’air. Le drapeau rouge correspond à la plage de températures ressenties entre 38 et 53 degrés : le travail devient très pénible voire impossible. On estime à 700 millions de décès d’ici la fin du siècle dans les régions les plus chaudes. Les népalais n’ont pas le choix car ¼ du PIB du pays provient des ouvriers qui partent dans ces pays du Golfe. Si certains décèdent sur les chantiers à cause du stress thermique qui augmente les risques de chute et d’accidents du travail, d’autres reviennent avec des maladies chroniques, en particulier des insuffisances rénales que l’on retrouvent aussi dans d’autres secteurs comme décrit ci-dessous.
La canne à sucre
Le Népal n’est pas le seul pays à voir un grand nombre de sa population mourir dans d’autre pays à cause du travail. Le Nicaragua est aussi fortement touché par les conditions de travail de sa population qui part travailler dans les champs de cannes à sucre. Les cannes à sucres sont récoltées au mois de mars, mois le plus chaud de l’année dans le pays. Pendant leur temps de travail d’environ 12 heures, les Nicaraguayens n’ont pas accès à l’eau, ni à l’ombre et ils ne peuvent pas se reposer car les salaires sont versés à la pièce. Prendre une pause signifierai une importante perte d’argent sur un salaire déjà fragile. Ces conditions de travail médiocres entrainent des maladies très importantes et mortelles. Le plus souvent, ces populations souffrent d’insuffisance rénale sévère appelée aussi insuffisance rénale chronique. Ces deux dernières décennies, 1 décès sur sur 2 était attribué à une insuffisance rénale.
Le Salvador n’est pas épargné par cette maladie chronique. Dans les régions côtières, là où les températures sont les plus élevées, 20 000 à 40 000 personnes meurent d’une insuffisance rénale chronique. Les médecins évaluent la gravité des dommages causés au reins avec le sigle CDK, pour savoir si la maladie est devenue chronique.
Les livraisons
Certains travailleurs aux États-Unis sont aussi concernés par les difficultés à travailler lors de fortes chaleurs. Le pays, pourtant bien développé, mais UPS laisse ses livreurs travailler dans des conditions dangereuses pour leur santé. Effectivement, les livreurs souffrent d’hyperthermie en raison d’un manque de climatisation dans les camions et l’absence de pauses due à un rythme de livraisons soutenu toute la journée en plein soleil. Certains livreurs s’écroulent de fatigue devant les portes de leurs clients à cause d’un mauvais équilibre entre le rythme de travail et ce que leur corps peut accepter. Certains organismes, en particulier le syndicat « teamsters » dénoncent l’incohérence de ces entreprises qui préfèrent dépenser de l’argent dans des caméras pour surveiller leurs salariés plutôt que pour installer des ventilateurs ou des climatisations dans les véhicules.
Le textile
L’Inde subit le même sort au niveau de l’industrie du textile. Plusieurs centaines de femmes sont réunies dans des hangars immenses, toutes les unes sur les autres, avec un rythme de travail soutenu, et de plus en plus rapide, pour que les entreprises puissent répondre à la demande. Pour réduire au maximum la température dans ces hangars, l’entreprise a choisi d’utiliser des lampes à LED plutôt que des lampes normales, afin de réduire la chaleur des éclairages, en plus de l’installation de ventilateurs. Ces mesures ont permis de faire baisser la température de quelques degrés. Les couturières sont plus productives car elles s’épuisent moins vite, même si la température est toujours élevée. L’impact des changements climatiques sur le corps humain peut impacter aussi l’économie nationale en raison d’une baisse de productivité des salariés épuisés par ces fortes chaleurs.
Dans ce même pays, 90% de la main d’œuvre est réalisée dans le secteur informel. Depuis leur logement, les femmes subissent une chaleur insoutenable notamment du fait des matériaux de constructions souvent sommaires qui font grimper la chaleur jusqu’à 50°C ressenti. Ces fortes chaleurs pourraient faire perdre 4% du PIB suite à l’arrêt de production des travailleurs. 8% seulement des indiens ont accès à la climatisation, mais tout climatiser ne représente de toute façon pas une bonne solution. Pour pallier à ces chaleurs extrêmes, les femmes travaillant depuis chez elles ont recours à des solutions pour pouvoir survivre. Par exemple peindre les toits de leurs maisons avec une peinture blanche réfléchissante fournie par une ONG pour baisser la température en intérieur de 4 à 5 °C.
L’ONG La Isla Network
Jason Glaser, PDG de La Isla Network, faisait partie des acteurs interrogés dans le film mais présent aussi au C.E.S.E. Il nous a présenté l’avancée rapide de ses actions depuis la sortie du film.
La mission principale de son ONG est de protéger les travailleurs dans un climat changeant. A l’origine, il s’est rendu au Nicaragua, il y a quelques années de cela, pour écrire un article sur les pesticides dans la récolte de bananes. Mais la population lui a montré les conditions de travail qu’il y avait dans les champs de cannes à sucre. Il a souhaité en parler avec les personnes responsables, mais il s’est vu refouler par les forces de sécurité. Il a donc décidé de persister pendant plusieurs années et a enfin réussi à trouver un accord avec les dirigeants pour améliorer ces conditions notamment en proposant des groupes qui aillent aider les travailleurs dans les champs en les mettant à l’ombre et en leur proposant de l’eau et une vingtaine de minutes de pause. Car le stress thermique n’est pas dû uniquement à la chaleur mais aussi avec les conditions de travail les salariés. Les dirigeants ont changé d’attitude quand il leur a prouvé que ces modifications des conditions de travail pouvaient faire baisser le nombre de décès et l’apparition de maladies chroniques tout en conservant un rendement très proche.
Il souhaite développer des centres d’excellence pour comprendre comment évoluer et comment apprendre ensemble à s’adapter à ces changements climatiques dans les milieux professionnels. La chaleur étant l’élément le plus difficile à supporter dans leur travail, Jason propose pour objectif principal, de faire baisser la température du corps lui-même.
La filière viticole
La filière viticole est aussi très fortement touchée par ces changements climatiques. Caroline Véran, fondatrice de l’agence Croissance Bleu, s’inquiète des risques que les changements météorologiques font porter aux vignes. Elle a présenté les résultats de l’Etude Clisève, qui a pour base la perception terrain. Cette étude a pour objectif de sensibiliser à cet enjeu sous-estimé qui impacte la santé des travailleurs, l’attractivité des métiers et la pérennité économique des filières.
Cette étude a mis en évidence des risques physiques pour 80% des vignerons et des maux de tête pour 50% des saisonniers et 30% des vignerons. 25% des saisonniers citent des pertes de conscience. Mais elle pointe aussi des risques infectieux, mentaux et chimique.
En conséquence de ces contraintes, beaucoup d’entre eux, aussi bien des vignerons que de saisonniers exigent de nouvelles mesures telles que, plus de pauses régulières demandées par 35% des saisonniers et un accès continu à l’eau par 41% d’entre eux. 36.5% des vignerons eux, pensent que la règlementation ne prend pas assez en compte le risque santé-climatique dans le droit du travail et, 2/3 des répondants veulent fixer un palier de température de l’air au-dessus duquel le travail est interdit (par exemple 35°C).
Franck Tivierge, conseiller du C.E.S.E, conseiller fédéral CFDT-fédération Agriculture Alimentation, présente l’OIT (Organisation International du Travail) en tant que guide de bonnes pratiques. Le stress thermique est un nouveau facteur de risque lié aux changements climatiques. Ces derniers amplifient tous les autres risques notamment les risques chimiques.
L’OIT et le C.E.S.E :
Cyril Cosme, directeur de l’OIT France sur le rapport de de l’OIT « assurer la sécurité et la santé au travail à l’heure du changement climatique », suggère des préconisations sur le principe d’écoute des travailleurs afin d’améliorer leurs conditions de travail. Si l’OIT a longtemps était perçu comme un apôtre de la productivité en entreprise, les experts travaillent maintenant sur les principes directeurs d’une transition juste prenant en compte l’énergie, l’économie circulaire et la protection de la nature. Il rappelle que le stress thermique n’est pas la seule menace apportée par le changement climatique en citant par exemple la multiplication des vecteurs de transmission des infections. Pascal Mayol, membre du C.E.S.E., co-rapporteur de l’avis « Mobiliser les acteurs de l’emploi et du travail pour réussir la planification écologique », déclare un secteur agricole en tension en raison des crises météorologiques.
Conclusion
Pour conclure, Sophie Thiéry présidente de la commission Travail et Emploi, souligne l’importance, sous estimée et mal connue, du réchauffement climatique sur la santé des travailleurs. Pour avancer elle propose 3 pistes
- Décloisonner les différentes démarches concernant la santé. Les stratégies concernant le public, le monde du travail et l’environnement ne sont pas toujours en phase
- Sortir de la gestion de crise pour mettre en place de vraies stratégies de prévention et adaptation
- S’appuyer sur le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) pour prendre en compte ces nouveaux risques en se basant sur l’écoute des collaborateurs. Ce document, obligatoire d’après la loi, ne serait présent que dans 46% des entreprises et souvent rédigé de façon très sommaire.
Ce dernier point, la participation des collaborateurs, ne peut que réjouir les membres de l’équipe DIAG 26000 qui propose depuis plus de 10 ans le premier diagnostic interactif RSE conçu pour être utilisé par l’ensemble des niveaux hiérarchiques !